ou l’histoire de la sorcière, selon Marco di Genova
Marco di Genova (2020), « La sorcière de San Salvadour – Hyères (83) », VarPhoto, http://varphoto.ouadjet.org/religion/003-H-SanSalvadour/003-H-SanSalvadour.html
L’histoire se passait il y a très longtemps, de nombreux siècles avant notre ère chrétienne. Le pays était alors inculte et presque désert. Dans une caverne du Mont des Oiseaux vivait une très vieille femme, presque centenaire. Elle avait pour compagne une jeune fille extrêmement jolie qui prenait soin d’elle. Cette dernière, douée d’une voix merveilleuse et d’une grande bonté, avait apprivoisé la gent ailée qui l’entourait et ne la quittait guère. Et tout le jour la caverne et ses abords retentissaient des refrains de la fille et du chant des oiseaux.
Un jour, Messire Satan, passant par là, entendit et vit la fille et, séduit par sa beauté, la désira. Il la demanda à la vieille, celle-ci refusa avec indignation. Le Diable propose alors : » Si tu me donnes cette fille, moi je te donnerai pouvoir absolu sur cette montagne et ses alentours, ainsi que sur tous ceux qui viendraient y demeurer ! « . » Beau cadeau vraiment ! J’ai presque cent ans et vais bientôt mourir ! » répondit la vieille dame. « Et bien je te donnerais en plus l’immortalité ! » répond le Diable.
Eblouie, la vieille en se détournant poussa la pauvre enfant dans les bras du Diable et s’enfuit, tandis que retentissaient dans un fourré les cris de la fille. Avec un grand bruit d’ailes froissées, des millions d’oiseaux s’élevèrent de tous les buissons et jetant des cris perçants, tournèrent un instant et disparurent au loin. Et jamais plus un oiseau ne se posa sur la cime maudite. Et depuis, la femme vécut, farouche et solitaire, dans sa caverne silencieuse, sans plus vieillir, entretenant sur un autel de pierre un feu ardent en hommage a son démoniaque protecteur.
Un jour, une flotille apparaît au loin sur la mer. Séduit par l’abri profond qu’offre l’anse et par la fertilité apparente du pays, le chef fait jeter l’ancre. C’est un groupe d’émigrants égyptiens qui fuyant des années consécutives de famine, cherche une base pour s’établir. Constructions légères, défrichement du terrain, bientôt le sol est prêt à recevoir les précieuses graines de froment, espoir de la cité future. Alors apparaît la sorcière. Elle vient au chef des Egyptiens et le persuade que pour prospérer et rapporter au centuple toute la semence doit recevoir la bénédiction du Dieu qui les protège. Les sacs sont donc portés processionnellement jusqu’à la caverne où se trouve l’autel. Puis, sous prétexte de rites secrets elle ordonne de la laisser seule. Et cette nuit là, à la grande joie des crédules, la flamme s’élève plus brillante et plus haute que jamais. C’est que dans son repère toute la nuit, la vieille expose la graine à la chaleur d’un feu ardent. Au matin, les Egyptiens reviennent chercher les sacs. Semailles attente, rien ne germa. La graine stérilisée par la chaleur pourrit sous terre. La colonie naissante menacée par une famine affreuse regagna ses navires et partit à a recherche d’une terre plus hospitalière. La sylve reconquit les terres défrichées, les constructions tombèrent en ruines et la sorcière retrouva son isolement mais cessa d’entretenir le feu pour plus de discrétion.
Au 5ème siècle avant Jésus Christ, une colonie phocéenne venant de Massilia et recherchant un mouillage bien abrité le long de la côte s’établit à son tour sur l’emplacement de San Salvadour. Cette fois le groupe était riche et puissant. Marseille et son ravitaillement proche. Le stratagème précédent ne pouvait être renouvelé avec profit. La sorcière s’arme de patience, les laisse s’installer. Une ville entière s’élève, des plantations apparaisent. Alors jugeant le moment venu, la vieille va de village en village, y recrute un groupe des plus belles courtisanes, et les lance dans la cité. Au travail acharné succèdent bientôt l’orgie et la débauche. Des factions divisent les colons pour la possession de ces femmes, et une nuit au cours d’un banquet monstre où le vin coule à flots, les deux principaux notables de la cité, l’esprit enfiévré par les propos venimeux de la vieille se défient et s’entretuent A leur suite, les partisans respectifs lèvent les armes les uns contre les autres. Au vin succède le sang. Un massacre épouvantable suit pendant lequel l’horrible femme brandissant un flambeau met le feu à toute la ville. Au matin il n’y a plus que les murs calcinés et des tas de cendres recouvrant des monceaux de cadavres. Et le silence et la solitude régnèrent à nouveau sur San Salvadour.
Vint l’époque de la conquête romaine et la pacification sous les ordres de Marius en 102 avant J. C. Pendant sa longue et bienfaisante période de la « paix romaine » au 1er siècle de notre ère les villes et les ports se multiplient sur toute la côte. La situation privilégiée de San Salvadour attire à nouveau l’attention des conquérants.
Une ville importante s’élève : Pomponiana, précédée d’un port bien aménagé : Olbia, ville étendue, avec des temples, des thermes, un forum, un aqueduc. Port aux installations perfectionnées, aux larges quais pavés de mosaïques. La vieille, la rage au cœur, voit ces constructions nouvelles qui surgissent de terre, ces villas qui empiètent même sur la base du Mont des Oiseaux, son domaine. À bout d’expédients, elle fait appel à son maître infernal. « Prends patience, répond celui-ci, ne t’ai-je pas promis réalisation de tes désirs sur tout ce pays ? » L’été passe. Voici les jours de l’équinoxe. Et, une nuit d’épouvante, un ras de marée submerge le port, tandis qu’un tremblement de terre détruit la ville et ensevelit ses habitants sous les décombres.